La Griffe au secours des chats…
Depuis novembre 2010, La Griffe a secouru, a fait stériliser et identifier, souvent adopter, une vingtaine de chats. Quelques-uns trop malades, ont été euthanasiés. Quelques-uns, trop sauvages, ont été replacés sur les sites où ils avaient été capturés. Ils sont nourris et surveillés. Mais notre capacité d’intervention est faible, et tout ceci n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan de misère que représente la population des chats des rues, évaluée aujourd’hui en France à plusieurs millions.
En créant La Griffe qui pourtant, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, n’a pas pour seule vocation que de s’intéresser à des animaux dotés de ces appendices éponymes et redoutables, nous savions bien que nous serions confrontés tôt ou tard au problème insoluble, terrible et révoltant, des chats errants, dits aussi chats des rues, chats sans maître, chats libres… Enfin à toute cette foule innombrable et furtive que les peuples humains croisent sans la voir, sauf lorsque, de temps en temps, l’un de ses petits sujets, surgi de nulle part, vient s’écrabouiller sous les roues de la voiture familiale ou du camion de livraison. Les populations humaines, hormis quelques individus bizarres qui prennent en pitié ces pauvres bêtes affolées et affamées, ignorent en effet superbement les populations félines, sauf lorsqu’il faut, de temps à autre, s’en débarrasser…
Beaumont… de pitié
Le chat a été domestiqué il y a environ 15.000 ans. Cela ne date pas d’hier, donc. Bon an mal an, le chat s’en est accommodé, même si le bipède n’a pas toujours été tendre avec lui. Le souvenir de ces félins accusés d’être en commerce avec Lucifer, suppliciés et jetés tout vivants dans les bûchers où l’on avait coutume de faire rôtir de soi-disant sorcières, nous fait encore frémir. Lorsque je regarde ma Mouk se prélasser dans l’un des confortables dodos qu’elle possède chez moi, je me dis que la pauvre petite ne mériterait jamais tel traitement et qu’il en va de même pour n’importe lequel de ses congénères.
Fripouille n’aurait pas survécu à son coryza si elle n’avait pas été enlevée à la rue.
La domestication du chat étant très ancienne (domestiquer signifiant « faire entrer dans la maison »), le chat s’est adapté à cette dépendance. Sans nous, contrairement à ce que certains prétendent, juste pour ne pas avoir à porter le poids de leur forfaiture, le chat ne sait pas vivre. Il survit, c’est tout. Et pas longtemps encore, et bien mal. Tous les jours, nous en avons la preuve.
Nous l’avons eue avec quatre moustachus récupérés en plein hiver au sommet de puy de Dôme, et aussi, plus récemment, avec quelques individus oubliés au fond d’une ruelle malsaine, et menacés d’extermination parce qu’un riverain en a eu peur. Cela se passait dans une charmante commune de la périphérie de Clermont-Ferrand au doux nom de Beaumont.
Il faut dire que certains d’entre eux n’avaient guère bonne mine. Sous-alimentés, vivant dans un quartier qui n’aura d’intérêt pour les autorités que lorsqu’il sera devenu un « centre ancien » ripoliné, passé à la terre de Sienne et à l’ocre jaune (ce qui est en voie de se produire), histoire d’esbaudir le touriste et éventuellement l’autochtone, ils attendaient, eût-on dit, le diable. Nous en avons débusqué une quinzaine, parce qu’il n’était pas question de les laisser ainsi, à leur misère, à leur famine, à leur coryza suraigu avec le pus qui leur mangeait les yeux et les narines, les empêchait de respirer et de se nourrir des quelques maigres victuailles que leur déposait une grand-mère compatissante. À part deux ou trois récalcitrants que nous finirons bien par avoir, nous avons soigné ceux qui pouvaient l’être, stérilisé, tatoué au nom de La Griffe, et euthanasié aussi, hélas, trois d’entre eux qui étaient très malades et bien trop sauvages pour que l’on puisse les soigner. Mais que deviendront-ils lorsque de bruyantes machines auront investi leurs refuges, retournant le sol, générant de véritables séismes et les remplissant d’effroi ? Ce n’est pas pour quelques chats, me direz-vous, que nous allons nous priver de rendre nos villes jolies, habitables, accueillantes… Certes, pourtant, je me pose la question : après tout, c’est nous qui les avons contraints à être ici, ne pourrait-on pas leur faire une petite place ?
Beaumont : un chaton agonisant trouvé au fond d’un carton.
Et c’est en faisant un dernier tour de reconnaissance dans un bâtiment lépreux et à moitié démoli que deux bénévoles ont trouvé, au fond d’un carton, un chaton tout froissé, tétanisé, comme en convulsion, qu’elles ont cru mort. Bien que froid déjà, il vivait encore, mais si faiblement… Elles ont emmené cette pauvre petite chose à l’agonie chez le vétérinaire de garde pour qu’il procède au seul acte qui pouvait désormais lui apporter quelque réconfort : la piqûre létale.
Quelle que soit la relation que l’on cultive avec les animaux, quel que soit le souci qu’on en a, on ne peut pas ne pas être touché par pareilles trouvailles… Un sentiment d’impuissance mêlé d’injustice, voilà ce que l’on ressent. Et bien sûr d’infinie compassion pour ces petits êtres vulnérables. C’est notre indifférence qui est à l’origine de leur martyre.
« Si ça les amuse… »
Soyons clair. Les chats dont nous parlons ne sont que quelques individus parmi des millions qui subissent un sort analogue et qui ne trouvent pas forcément de main secourable pour abréger leur agonie. Ces chats vivent dans des communes, grandes ou petites. Ces communes sont gérées par des élus. Mais que font ces élus pour éviter cela ? Ces chats ne viennent pas de nulle part. Ce sont les enfants, les petits-enfants ou les descendants d’autres chats, qui jadis sans doute ont habité dans des maison, avec des gens. Ces gens – parmi eux, peut-être se trouvait-t-il des élus ? – n’ont pas pensé à, ou pas voulu, ou négligé ce qui aujourd’hui s’impose comme une absolue nécessité : faire stériliser leur chat, mâle ou femelle.
La mauvaise foi, l’ignorance, la négligence, je ne sais quelle bêtise crasse ni quelle sorte de projection quasi pathologique sont souvent présentes chez ceux qui refusent obstinément la stérilisation. Ceux-ci font des ravages. Ils sont à l’origine de millions de sorts atroces. Ils méritent d’être rappelés à l’ordre, voire pire… Mais qui peut mieux faire cela que, justement, ceux qui sont les garants de l’ordre et de l’autorité ?
Ils survivent tant bien que mal…
Le problème, c’est que les garants de l’ordre et de l’autorité se fichent comme d’une cerise des souffrances animales, ou alors cela se saurait. On vient d’en avoir encore un exemple éclatant avec les déclarations de la candidate aux présidentielles d’Europe Ecologie Les Verts, Eva Joly, sur la corrida et la chasse à courre, au secours desquelles elle vole en invoquant la tradition, alors que la même tradition appliquée aux défilés militaires (dont nonobstant je ne suis pas fan non plus) lui semble tout bonnement invalide… Cherchez l’erreur !
Pour revenir à la commune de Beaumont, manifestement, le maire, que nous avons rencontré pour évoquer devant lui ce problème, ne savait pas, ou faisait mine de ne pas savoir, qu’il y a surpopulation féline et que l’on ne peut y mettre un terme qu’en généralisant les stérilisations. Dans cette commune, comme dans bien d’autres, il n’y a rien de prévu dans ce sens. Il n’est même pas question d’exhorter, dans le bulletin municipal, les administrés à se montrer un peu responsables. On se soucie fort des déjections canines sur les trottoirs, généralement la « politique de l’animal dans la ville », n’importe quelle ville, se borne à ça. Pour le reste, on fait procéder par les services fourrières, voire par des entreprises spécialisées dans l’extermination des petits peuples animaux, à une éradication massive, un « prélèvement » musclé, comme diraient les chasseurs, trop délicats pour employer les mots qui fâchent.
Ce que la commune de Beaumont, qui n’a pas le même budget (heureusement pour elle) que La Griffe, aurait dû réaliser, c’est La Griffe qui l’a fait, avec l’aide de l’Association de protection des animaux du Puy-de-Dôme (APA 63) qui a pris deux interventions à sa charge. Les quelques individus que nous avons remis sur le site, parce qu’ils ont été identifiés au nom de La Griffe, sont désormais placés sous notre protection. Il ferait beau voir que quelqu’un y touchât…
Mais il est pitoyable, lamentable, que partout, tout le temps, des bénévoles de la protection animale soient confrontés au même problème. « Si ça les amuse… », comme dirait une élue (et pas des moindres) dont par charité nous tairons le nom.
Oui, Madame, cela nous amuse fort de trouver des animaux en souffrance, pantelants, ensanglantés, affamés, terrorisés, lorsque nous ne les trouvons pas à moitié morts… Chatons suppliciés, chats rongés par des tumeurs, des plaies immondes, des maladies mortelles… Et qui redoutent notre présence comme, au Moyen Age, on redoutait la peste. On les comprend.
Il est intolérable et révoltant que les élus du peuple ne se posent pas la moindre question sur la condition animale, sous prétexte que « la priorité, ce sont les gens ». Il est insupportable de constater que, dans la plupart des communes, la seule politique de l’animal dans la ville qui prévale, c’est le massacre pur et simple.
À partir du 1er janvier 2012, les chats qui naîtront, à l’instar des chiens, devront tous être identifiés par tatouage ou puce électronique.
La Griffe demande :
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que soient effectués des contrôles ;
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que les associations animalistes soient accréditées pour y procéder ;
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que les vétérinaires soient invités à s’impliquer en incitant leurs clients à ne pas laisser leurs animaux se reproduire, et en procédant à des rappels à la loi ;
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que les animaux de compagnie soient interdits à la vente sur Internet et dans les animaleries ;
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qu’il y ait une véritable transparence quant au nombre d’animaux qui entrent dans les fourrières et aux chiffres des euthanasies pratiquées, année par année ;
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enfin, que la stérilisation des chats mâles et femelles soit obligatoire pour les particuliers. À défaut, que les collectivités locales, les instances nationales fassent passer le message suivant : dorénavant, la stérilisation des animaux de compagnie est un acte de civisme.
En abandonnant les chats à leur sort, ce ne sont pas des individus que nous abandonnons, mais une espèce entière…
Jeph Barn